You're in high school again (Cristina)

William avait eu l’impression de revenir quelques années en arrière. Ce n’était pas si loin pour lui, le lycée. Il se rappelait encore de ses années là-bas, du nombre incalculable de conneries faites avec sa bande de potes, des retenues, des blagues de mauvais goût faites aux professeurs… Non, Willy était loin d’être un élève moderne, et pourtant il s’était toujours arrangé pour ne pas dépasser les bornes. Ses blagues étaient nulles, certes, mais jamais méchantes. Il voulait juste rire, lui. En entrant dans l’imposant bâtiment, tout lui revint en mémoire et il se surprit à sourire. C’était exactement comme dans ses souvenirs. Mais aujourd’hui, il revenait pour une bonne raison, il avait été contacté par le proviseur du lycée pour venir parler de son métier à certaines classes et il n’avait pas hésité une seule seconde. William était à l’aise en groupe, il aimait parler, et en plus, s’il pouvait donner envie à ces jeunes de devenir flics à leur tour, il n’y avait même pas à réfléchir. Sa prestation dura un certain temps, il dépassa sûrement les limites demandées par les enseignants, mais les élèves avaient tant de questions à lui poser qu’il tint à répondre à toutes et après son intervention, comme c’était prévu dans le programme, il se rendit dans une salle de classe vide où tous les intervenants pouvaient se retrouver pour discuter, boire et manger quelque chose. Inutile de préciser que c’était sans alcool, ce que William admit comme la meilleure des choses possibles. S’il se retrouvait ivre devant les autres, devant ses anciens profs, il n’était pas sûr de pouvoir assumer derrière.

Il balaya la grande salle du regard et son visage s’éclaira quand il aperçut Cristina, une jeune trentenaire qui lui plaisait assez. Elle bossait à la caserne de Portland, comme pompier, et c’était lors d’un rassemblement entre les pompiers et les flics qu’ils avaient fait connaissance. Dans des circonstances foireuses, puisque le jeune homme s’était mis en tête de flirter avec elle. Avant d’apprendre qu’elle était homosexuelle. Cela lui avait fait un choc, et puis il l’avait pris avec le sourire – Willy n’allait pas déprimer pour si peu.  « Salut ! » s’enthousiasma-t-il. « Tu veux toujours pas sortir avec moi ? » il se fendit d’un large sourire. Il allait probablement l’embêter avec ça jusqu’à la fin de ses jours, il était comme ça, Willy. Comme cet ado au lycée, finalement, un peu immature, un peu lourd, mais pas méchant. « Ça va, j’plaisante. Alors toi aussi t’es venu parler de ton beau métier à ces mômes ? » ces mômes. Comme s’il n’en était pas un, lui. Tout en attendant la réponse de la jeune femme, il attrapa une part de brownie, il était affamé, comme tout le temps.    

C’était un peu compliqué ces derniers temps pour éprouver cette sensation d’aimer son job après cet événement tragique où, à cause de ce métier, la personne avait perdu un être cher. Il fallait un peu d’imagination pour la mexicaine pour trouver les points positifs afin de donner le feu à la bouche de futurs pompiers assis à leur pupitre en l’écoutant déblatérer à ce sujet. Cristina savait parlait, attirer l’attention et attiser la curiosité à tel point qu’elle avait été accabler de question sur les Pompiers et leur vie dans la caserne. Étrangement, les bons côtés ressortaient et donnaient à la jeune femme des ailes qu’elle pensait brûler depuis un long moment déjà. Au fil de chaque heure qui lui était consacré dans les trois classes qu’elle devait visiter, Cristina revivait sa passion même des soldats du feu. C’était assez intéressant de voir que certain lycée donnait cette chance à leur étudiant, de découvrir à domicile les métiers au lieu de lire de simple fiche technique sur les pc. Avec ses dix ans d’expérience dans ce domaine, elle tenait le crachoire pendant des heures en omettant bien sûr ce jour fatidique où elle avait cru perdre une première fois Rafael, son petit frère. Le cancer qui l’avait froidement emporté vers la mort n’était pas le grand sujet ce qui détachait peu à peu l’amertume de la trentenaire la cause du décès de son frère et de celle de son métier. Un grand pas était fait pour la brune qui se sentait particulièrement perdue depuis l’enterrement de ce dernier.

Quand l’interrogatoire fut enfin terminé, elle expira de soulagement. Au fond, elle pensait que son chef l’avait envoyé au purgatoire, loin d’éventuel mission de sauvetage qui ne la pensait pas encore à même d’agir correctement mais finalement, elle y avait trouvé quelque chose de thérapeuthique. Redécouvrir ce métier, la joie de l’exercer malgré les accidents et les pertes malheureuses qu’il pouvait entraîner. Cristina puisait en elle ce qu’elle avait cru oublier et enterrer en même temps que son frère et cette démarche lui avait réussi. Elle le ressentait même si la route était encore bien longue avant qu’elle n’arrive à surmonter cette douleur. La puissance de ce manque était tel, qu’elle en ressortait toujours épuisée physiquement et moralement. C’est pourquoi elle appréciait d’avoir ce moment loin de la caserne, laissant les véritables besoins aux gens réclamant aides et soutiens pour ceux qui étaient prêt à l’ouvrage. La bouche pâteuse d’avoir autant parlé, la pompier fut contente d’avoir droit à un petit buffet où boisson et de quoi se restaurer étaient à disposition. « Salut ! » Intriguée, elle se tourna vers la voix qui lui était familière avec son gobelet à la main. Son visage s’éclaira en reconnaissant William, un policier qu’elle avait rencontré lors d’un rassemblement « Oh Salut ! » salua t-elle tout en venant l’enlacer, tout dans son naturel tactile et chaleureuse. Elle n’avait pas changé quoiqu’elle se montrait étrangement réservée lorsqu’il était question de Taylor avec qui, elle luttait contre cette manie, de peur de franchir une limite compliquée. Quand elle se détacha du brun, la pompier le regarda de biais le sondant amusée par ce sourire qu’il lui offrait. En effet, William avait tenté une approche que Cris avait stoppé de la manière la plus… douce possible. Malheureusement pour lui, elle était seulement attirée par les femmes. Une en particulière mais ça, elle le fourrait dans un coin de sa tête, au fond d’un tiroir de son esprit tordu pour tenter de ne pas retomber sur cela. Et malheureusement pour elle, il revenait toujours aussi rapide que l’éclair et le tonnerre qui le précédait. « Toujours pas ! » lâcha t-elle, enjouée et amusée, sans montrer la moindre hésitation. « Ça va, j’plaisante. Alors toi aussi t’es venue parler de ton beau métier à ces mômes ? » Elle lui assura d’un petit sourire qu’elle n’allait pas mal le prendre. Après tout, William était bel homme pour son genre et si elle venait à assouvir d’autres désirs pour une Davis, elle allait sûrement… Non non, elle ne pouvait pas. Cristina s’avouait vaincu en comprenant qu’elle allait sûrement finir ses jours entourées de chats et autres animaux qu’elle recueillerait pour remplir sa vie. « Oui ! Je crois qu’on doit tous y passer un jour. » lâcha t-elle en haussant des épaules. « Tu t’es porté volontaire ou on t’a mis directe sur le coup ? » demanda t-elle, taquine buvant une gorgée de son soda. Elle balaya la salle, s’assurer qu’elle n’avait pas manqué quelques connaissances supplémentaires puis reporta son attention sur William : « On m’a mit dessus sans mon avis ! Mais au final, j’aime bien. Ça me rajeunit de parcourir ses longs couloirs tristes! » souffla t-elle.

Revenir au lycée faisait décidément très étrange pour le jeune homme. Il possédait une forte capacité à s’adapter, mais replonger dans ses vieux souvenirs, il n’en avait pas l’habitude. Pas de manière aussi intense, en tout cas. Fort heureusement, comme il s’agissait presque exclusivement de souvenirs heureux, il n’en était pas troublé. Surtout pas avec un buffet à la fin de la présentation où il pourrait se gaver de parts de gâteaux et biscuits salés sans avoir mauvaise conscience, parce que Willy en avait rarement. Et il avait bien besoin d’oublier toute la tempête médiatique autour des Kennedy, alors cette prestation tombait à point nommé. Il s’était proposé avant que leur nom de famille ne soit traîné dans la boue et affiché dans tous les médias, si bien qu’il n’était pas certain qu’autrement, le proviseur ait accepté sa venue… mais tant pis, ce qui était fait était fait et maintenant, William se trouvait là, en compagnie d’autres personnes venues vanter les mérites de leur métier. Ou les inconvénients, parce qu’il y en avait, comme dans tout. Il interpella Cristina en lui demandant si elle n’avait toujours pas envie de sortir avec lui et s’attendant à une réponse sur le même ton que la sienne, il répliqua presque du tac-au-tac « Dommage, tu sais pas ce que tu rates » parce qu’il en rigolait, encore et toujours. Parce qu’il l’aurait peut-être à l’usure aussi, naïf qu’il était. Il la trouvait toujours jolie, elle lui plaisait toujours, mais leur relation avait évolué. Et maintenant, il faisait ça surtout pour la faire rire. Pour l’emmerder un peu aussi, forcément.

Il était content de la voir, en tout cas, et il lui demanda si elle était venue parler de son métier aux gamins. En toute logique, elle n’était pas là pour vendre des cookies. « J’me suis proposé, d’ailleurs je crois que j’étais l’un des rares du poste de police. Mais j’aurais pas raté un moment pareil de… » de me mettre en avant, faillit-il de dire, avant de se raviser. Certes, Willy aimait plaisanter avec ça, et son ego était parfois important, même si la plupart du temps, c’était pour rire. Pour amuser, ou faire enrager, la galerie. « De vanter les mérites d’être flic. Je leur ai parlé de l’uniforme et de la machine à café dernier cri qu’on a installé il y a déjà un certain temps » reprit-il avec un large sourire, avant d’avaler une énorme bouchée de brownie pour la laisser parler. « Pourquoi ça ? T’en avais pas envie ? » il réfléchit un instant à ce qu’elle venait de dire avant d’approuver d’un hochement de la tête. « Dans mes souvenirs, c’est vrai que les murs étaient un peu plus colorés. J’sais pas ce que fout le club arts plastiques, mais ça laisse à désirer, tout ça » William avait failli en faire partie, quand il était au lycée, parce qu’il adorait dessiner. Mais il s’était pris la tête avec certains des membres et il en était parti dès le premier jour.        

Amusée par le naturel rentre dedans de William, elle déclina de nouveau son invitation qui n’en était pas vraiment une. Elle l’avait remarqué à son regard rieur et ses petites fossettes amusantes. « Dommage, tu sais pas ce que tu rates » Elle fit une moue, assurée mais se ravisa en se montrant déconfite « Et oui, je n’en doute pas mais.. C’est la vie ! » Elle ria, enfin. Cela faisait du bien, elle avait vraiment besoin de ça et c’était ce bellâtre qui lui arrachait ce son qu’elle avait cru l’oublier. Il la poussait mais jamais à bout, il l’embêtait et elle en avait l’habitude. Avec deux frères, et elle au milieu, il lui fallait beaucoup de patience et d’humour pour ne pas créer une troisième guerre mondiale. Elle était forcée de reconnaître qu’elle était venue à reculons. Cristina pensait avoir besoin d’action, de plan dans la caserne mais en réalité, c’était ça dont elle avait besoin, de rire et de penser à autre chose et de réapprendre son métier. « J’me suis proposé, d’ailleurs je crois que j’étais l’un des rares du poste de police. Mais j’aurais pas raté un moment pareil de… » C’était beau, c’était inspirant. Cristina était comme lui cinq ans en arrière. Mordant à plein dent, fonçant tête baissée dans le brasier pour sauver les pauvres âmes qui y vivaient. Elle riait de son métier, était fière de ce qu’elle était et de ce que sa fratrie lui apportait dans cet environnement dangereux et où les soldats du feu mourraient héro. Seulement voilà, un héro était mort et ce héro était son petit frère. « De vanter les mérites d’être flic. Je leur ai parlé de l’uniforme et de la machine à café dernier cri qu’on a installé il y a déjà un certain temps » Surprise. Elle eut un hoqueter et manqua même d’avaler de travers. Et ria. Elle prit une profonde respiration : « T’es nul j’ai failli m’étouffer.. » Mais elle ria jusqu’à dire qu’elle n’avait pas eu envie de venir, se sentant plus utile mais ça, c’était avant, avant d’être arrivée là. « Je t’avoue que non mais ça fait du bien finalement.. » Et puis elle ajouta les souvenirs peu vivace de ses années au secondaire, elle n’avait pas longé les murs, la tête baissée non.. Elle était plutôt du genre à marcher la tête haute et fusiller du regard le premier qui osait l’insulter. Cristina avait beaucoup souffert de ce rejet surtout lorsqu’elle s’était rendue compte de sa différence puisqu’elle en avait perdu des amies… « Dans mes souvenirs, c’est vrai que les murs étaient un peu plus colorés. J’sais pas ce que fout le club arts plastiques, mais ça laisse à désirer, tout ça » Elle acquiesça, en reportant son gobelet à la bouche. « Ouais carrément ! » souffla t-elle ensuite. Cristina regarda William. Elle essayait de l’imaginer au lycée, ou même à la petite école, jouait-il déjà aux justiciers ? Trop de question mais peut-être pas le bon moment pour en parler. Alors elle décida de jouer franc-jeu : « J’ai perdu mon petit frère, le mois dernier. Il est.. mort d’un cancer. » Elle parlait d’un ton morne, différent de celui avec lequel elle l’avait accueillit. « Alors mon chef m’a envoyé ici pour... » Elle haussa des épaules : « me changer les idées ? »

William était de bonne humeur. Ou en tout cas, il feignait de l’être. Dès qu’il commençait un peu trop à réfléchir, à se poser des questions, il réalisait combien sa situation était compliquée. Ou plutôt celle de toute sa famille, pas la sienne personnellement. Il n’était qu’un dommage collatéral, rien de plus, rien de moins. Il ne faisait que subir les emmerdes liées à son frère aîné et seulement subir, il détestait ça. Alors il était venu ici pour se changer les idées, pour raconter aux gamins combien c’était génial d’être flic, combien c’était idyllique. Et s’il ne s’attendait pas à croiser Cristina ici, il était heureux de la voir, de la faire rire. Et de rire avec elle. La jeune femme lui avoua qu’elle n’avait pas très envie de venir, mais finalement cela semblait moins pire que ce à quoi elle s’attendait. Et puis il continuait de parler, de raconter n’importe quoi, il avait embrayé sur le club d’arts plastiques et les murs ternes du lycée, il n’avait pas vraiment conscience de ce qu’il racontait, mais tant qu’il parlait, après tout… ça n’avait pas grande importance. Et puis Cristina lui lâcha une nouvelle qui lui fit l’effet d’une bombe. Bordel, quel crétin. Le sourire de Willy se figea tandis qu’il écarquillait les yeux. Que dire, dans ces cas-là, alors que l’on y était pas préparé ? « Oh merde… Cristina, j’suis vraiment désolé, je… si j’avais su j’aurais pas… » il se sentait con, maintenant. Il n’avait rien fait de mal, évidemment. Mais s’il avait su, il l’aurait peut-être moins pris à la légère.

Il aurait dû le savoir. Et en même temps, Portland était une grande ville, il ne connaissait pas tout le monde, ne faisait pas attention aux affaires de tout le monde. Et il avait ses propres problèmes à gérer, c’était bien trop important pour qu’il ait pensé à se renseigner sur ce qui se passait ailleurs, dans le reste du monde. Il avait perdu tout appétit, toute envie de manger son brownie. « Je suis désolé » répéta-t-il avec davantage d’empathie, en levant les yeux vers elle. Il avait déjà dû faire ça. Présenter ses condoléances à des proches de victimes, sur un accident par exemple. Il avait toujours été doué pour ça, selon ses supérieurs. Il n’était pas certain d’aimer un tel compliment, mais il avait de l’empathie, il s’intéressait à son prochain. Il n’était pas seulement flic, il était aussi humain, mais face à la jeune femme, il se sentit un peu désemparé. « Comment tu vas ? Je veux dire… Comment tu le vis ? » il connaissait déjà la réponse, évidemment. Ou pouvait l’imaginer. Mais c’était important de poser la question, de commencer quelque part. Et il comprenait mieux pourquoi elle n'avait pas vraiment envie de venir ici, pourquoi elle avait besoin de se changer les idées. Si seulement c'était possible.  
     

Cristina ne savait pas vraiment quoi faire de sa vie en dehors de son métier. Pas très riche en relations amoureuses, son travail occupait énormément de son temps et c’était son bébé, qui évoluait en même temps qu’elle, petit à petit. Quand son frère avait rejoint la caserne, tout aussi motivé qu’Alejandro ou elle-même, c’était l’apothéose. Les deux frangins à ses côtés, une affaire de famille grandement bien menée. Lorsque ce dernier a eu cet accident au cours d’une mission dans un bâtiment en feu, les séquelles avaient causé ce cancer et c’était pour cela que Cristina se sentait affreusement responsable. Retrouver, par un pur hasard William dans un endroit pareil, la pompier avait esquissé un sourire et avait ris aux allusions du brun à ce souvenir qui revenait avant le décès de son frère. Cela lui avait fait un bien fou mais il était vraiment difficile de ne pas revenir violemment au présent lorsque le cadre l’exiger. Si elle était ici, ce n’était pas pour elle, c’était seulement parce que son boss lui avait attribué cette mission sans lui demander son avis.
La nouvelle sortit de sa bouche comme une sorte de bombe qui manquait d’éclater d’une minute à l’autre. Alors que le pauvre William n’y était absolument pour rien. Cristina aurait pu faire semblant, garder le brun dans un souvenir le moins douloureux là où tout espoir était encore palpable. « Oh merde… Cristina, j’suis vraiment désolé, je… si j’avais su j’aurais pas… » Elle releva l’air piteux du pauvre policier qui ne savait réellement plus où se mettre. C’était Cristina qui se sentait mal tout d’un coup. Elle avait eu l’impression de reprocher la mort de son frère à ce pauvre homme. Il continuait de s’excuser alors elle finit par réagir, plus légère : « Non, non, je t’en prie, tu n’y es pour rien. Je ne sais même pas pourquoi je t’ai dit ça.. » avoua la trentenaire, mal à l’aise. Elle se passa une main dans les cheveux et rapprocha son verre des lèvres. Les mêmes questions ou les mêmes saloperies de condoléances ranimaient les mêmes colères et la même tristesse de Cristina qui pleuraient toujours son frère derrière son masque. « Il est… il est mieux là où il est. Sans doute.. » s’efforça t-elle de dire en serrant les dents mais camoufla cette décharge de colère derrière une nouvelle gorgée : « C’est un peu compliqué de vivre avec ça... » Elle baissa les yeux sur son gobelet et remarqua qu’il était vide. Elle releva la tête et s’aperçu qu’elle voyait au travers d’un voile, ce même voile de tristesse que lorsqu’elle parlait de son frère. Cette douleur lancinante d’avoir perdu son frère réactivait l’afflux d’eau dans ses yeux qu’elle essayait de sécher la plupart du temps. « Je suis désolée, je ne sais pas pourquoi je... » Pourquoi lui ? Elle ne l’avait rencontré qu’une seule fois et ils ne se connaissaient pas alors elle inspira un bon coup et releva la tête : « Ok ok.. Parlons d’autres choses si tu veux bien. » le supplia t-elle d’un petit sourire puis se resservit un nouveau verre : « Alors raconte moi un petit peu comment tu as vanté les mérites de votre nouvelle machine à café. La nôtre est vraiment dégueulasse, un vrai jus de chaussette.. »

William s’excusa, il n’y avait que ça à faire. Il s’en voulait d’avoir été si maladroit, même s’il ignorait tout de la situation. Il aurait peut-être pu interpréter les signes, ou… Non, ce n’était pas de sa faute. Ce n’était de la faute de personne. Cristina lui assura qu’il n’y était pour rien, elle ne savait même pas pourquoi elle lui avait dit ça. « J’suis content que tu me l’aies dit » répondit-il seulement avec un sourire triste. « Je sais qu’on se connaît pas beaucoup, mis à part le fait que j’passe mon temps à te faire chier quand on se voit, mais… Tu peux me faire confiance. Et tu peux m’en parler, si tu veux » il avait toujours joué ce rôle-là. Le bon pote, celui auquel on pouvait se confier. Le rigolo de service. Le type bien souvent dans la friendzone, finalement, même si contrairement à d’autres, il ne le vivait pas mal. Au contraire, ça le faisait même plutôt marrer, comme il ne recherchait jamais rien de sérieux, ce rôle lui convenait plutôt bien. La plupart du temps, du moins. Il se resservit un verre de jus de fruit, à défaut de terminer son brownie qui lui semblait écœurant, et se concentra sur la jeune femme. « Ça faisait longtemps qu’il était malade ? » William n’était pas le plus doué dans ces cas-là, il n’avait pas toujours les mots pour. Mais il y mettait de la bonne volonté, et il savait que la chose la plus importante à faire, c’était d’écouter. Et de parler du disparu, pour qu’il continue de vivre un peu, dans leurs mémoires. Lui ne pouvait pas comprendre, ce serait irrespectueux de prétendre l’inverse – il n’avait perdu personne de proche, même si c’était sa hantise. De perdre ses parents, de perdre ses frangins, toute la famille.

« T’inquiète » assura-t-il. « Tu veux qu’on sorte de là ? Je peux te payer un café ou un petit remontant » il était encore tôt, ils ne servaient sûrement pas encore à cette heure, mais le temps qu’ils se mettent en route, qu’ils se décident. Ou alors, ils pouvaient très bien rester ici, au choix. William n’était pas difficile. Il finit par esquisser un léger sourire quand elle changea de sujet et il hocha la tête, comprenant qu’elle avait peut-être besoin de se changer les idées.. « J’ai dit qu’elle préparait une variété impressionnante de cafés et autres chocolats et qu’elle avait même un clavier tactile rétro-éclairé, tu vois un peu la classe ? » il racontait absolument n’importe quoi, mais elle avait besoin de rire et lui, il en avait besoin autant qu’elle. Quand le monde s’effondrait, il restait au moins ça. Quand le monde s’effondrait, le rire subsistait.

« J'suis content que tu me l'aies dit » Cristina souriait tristement en secouant la tête. Il était naturellement très gentil et même si leur première approche s'était déterminé par un malheureux strop, elle n'en doutait pas une seule seconde. Cela dit, elle ne répondit rien. Au fond, elle conseillait constamment les victimes de sinistre à parler et elle n'arrivait pas à se tenir à ses propres conseils, jusqu'à aujourd'hui. « Je sais qu'on se connaît pas beaucoup, mis à part le fait que j'passe mon temps à te faire chier quand on se voit, mais … » Elle releva les yeux vers le brun. Elle était tellement à l'aise avec lui. Il ne l'emmerdait pas en fait, il était amusant et... il la faisait rire. « Tu peux me faire confiance. Et tu peux m'en parler si tu veux. » Ou alors, c'était son rôle de flic qui lui donnait cette confiance, cet air malicieux ne lui venait qu'au moment où il mettait ce masque : « Et tu n'es pas un emmerdeur, et ça m'embête vraiment que tu penses que..Je peux penser ça de toi. » assura t-elle avec un sourire sincère. Quand William demanda depuis combien de temps il était malade, Cristina ne savait vraiment pas par où commencer. En fait, Rafa était souffrant depuis bien plus longtemps avant que les médecins ne dévoilaient un violent cancer des poumons. Ses blessures avaient été pour lui une grande force mais aussi une faiblesse pour son corps et son système respiratoire. Évidemment, l'équipe médicale n'avait réussi à tirer cette conclusion seulement après l'examen post-mortem. « Il a été malade assez longtemps, trop en fait, je pense mais il a tenu le plus possible pour sa femme et son fils. » Son petit frère était décédé et elle le pleurait en secret, comme si elle avait honte mais c'était sûrement parce qu'elle se sentait pleinement responsable. Elle aurait dû veiller sur lui et elle avait fauté.

Suite à ça, elle s'excusa d'avoir confronté William à ce genre de situation. Cristina avait lâché la bombe comme aurait sortit sa poubelle, tout naturellement. Ça ne lui ressemblait pas et peut-être bien que l'attitude sympathique et ouvert du brun lui avait brisé ses défenses sans prévenir. C'était dangereux tout ça : « Tu veux qu'on sorte de là ? Je peux te payer un café ou un petit remontant. » En tout cas, il ne lui en tenait pas rigueur et cela rassurait la jeune femme : « A cette heure-là ? Un remontant, ça ne serait pas raisonnable. » souffla t-elle en regardant sa montre : « Mais va pour un café. » Une jeune femme d'une trentaine d'années, tout comme elle, appréciait ce genre de petites attentions, que cela ne vienne d'un homme ou d'une femme, c'était agréable. Quand elle lui rappela qu'il avait parlé de leur nouvelle machine à café high-tech, il y mit plus de bonnes volontés qu'elle ne l'aurait cru. Elle riait, ça faisait du bien : « Je suis jalouse, je vais me plaindre à mon boss, on a que du jus de chaussette, ce n'est pas juste. » Elle prit une profonde respiration en posant son gobelet sur la table, une nappe blanche en papier servait de protection pour cette dernière : « Sortons d'ici.. » souffla t-elle, complotant : « Je veux revivre mes années lycée en faisant l'école buissonnière. T'es dans le coup ? » Elle lui tendit la main pour l'inviter à la rejoindre. Elle avait vraiment une mauvaise influence mais après tout, elle était majeur maintenant. Autres petites choses, à l'école, Cristina avait entendu le nombre incroyable de fois où l'équipe enseignante avait déploré le nombre de « cachés dans le placard. » En ce qui la concernait, elle n'avait jamais eu cette chance, son homosexualité l'avait rendu au rang de parias par beaucoup de personne.

Les souffrances étaient parfois tellement invisibles, tellement dissimulées derrière un masque, qu’on ne pouvait les voir venir. Et quand elles surgissaient à l’improviste, on ne pouvait que tomber de haut, que se rendre compte de sa méprise. William se sentit ainsi un peu mal, même s’il n’y était pour rien, même s’il n’était pas responsable de ce qui était arrivé. Il ne pouvait imaginer la douleur de la jeune femme parce qu’il n’avait jamais connu une telle situation, mais sensible comme toujours, il en percevait les contours. Il voulut donc savoir depuis quand son frère était malade, puisqu’un cancer l’avait emporté. Malade assez longtemps, trop longtemps. La gorge serrée, Willy hocha la tête. « Comment il s’appelait ? » parce que c’était important de nommer les gens, même ceux qui étaient partis, surtout ceux qui étaient partis. Comme une manière de le faire vivre encore un peu dans la mémoire de ceux qui restaient. Il lui proposa donc de sortir de là, quitter ce lycée pour aller boire quelque chose, n’importe quoi qui leur permettrait de se changer les idées, de lui remonter un peu le moral. « Quoi ? C’est toujours l’heure d’un remontant, c’est… Comme on dit, c’est toujours l’heure de l’apéro au moins quelque part dans le monde, non ? » excuse foireuse, évidemment, mais Willy n’était pas à ça près. L’alcool n’avait plus aucun secret pour lui, même si évidemment, il ne buvait jamais en journée, jamais en service. Il se rattrapait aisément le soir.

Cristina accepta tout de même le café, ce qui était bien plus raisonnable que toute autre boisson, et William laissa échapper un léger rire. « T’as qu’à monter un comité ou un truc comme ça avec tes collègues, vous faites pression sur le chef pour qu’il remplace la machine à café et voilà, le tour est joué » en attendant, il fallait trouver un moyen pour s’éclipser discrètement de la salle, alors qu’ils étaient arrivés peu de temps auparavant et qu’il y avait sûrement beaucoup de monde à qui parler. La jolie brune avoua vouloir revivre ses années lycée en faisant l’école buissonnière et forcément, William n’allait pas protester, au contraire. « Comme toujours. Tu sais pas quelle terreur j’étais, à cette époque… faut d’abord qu’on s’approche discrètement de la sortie » comme si quiconque allait les engueuler ou leur demander de rester, ils avaient passé l’âge depuis longtemps. Mais ça faisait du bien d’y croire, de se retrouver plongé des années auparavant, alors Willy était bien décidé à jouer le jeu à fond. Ils se dirigèrent donc l’air de rien vers la porte, tout en feignant de continuer de discuter et de s’intéresser au buffet, et soudain, William s’exclama « Maintenant ! » et en même temps, les deux jeunes gens se précipitèrent dans le couloir et tracèrent leur route jusqu’à arriver à un croisement. William fit mine de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule et face au couloir complètement désert, il poussa un soupir de soulagement. « C’est bon, on les a semés. On devrait réussir à s’en sortir sans qu’un surveillant nous demande des comptes, maintenant. Je connais une issue de secours sympa, c’était toujours celle qu’on prenait pour se barrer en douce, à l’époque, viens »et là-dessus, il l’entraîna de nouveau à travers les couloirs de l’établissement.